Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Lloas
11 novembre 2009

11...14...18...

Les deux squelettesMarcel Chabot- Anthologie des écrivains pacifistes, 1916.

 

 

Un Français, un Prussien, dans les ombres d’un bois

Sont tous deux à l’affût…Ils tirent à la fois,

Et tombent gémissants dans un fossé du bois.

Côte à côte gisants à travers les fougères,

Ecrasés tous les deux par les mêmes misères,

Ils se parlent, saignants, sur un lit de fougères.

Ils sentent s’avancer les pas noirs de la Mort.

- Quel âge as-tu ? – Vingt ans, fait l’un dans un effort.

Autour de leurs vingt ans rôde à pas lents la Mort.

Les yeux voilés de pleurs, ils sourient à leurs mères

Qui, le regard éteint par les larmes amères,

De loin baisent leur âme…Ils sourient à leurs mères.

L’homme ne peut mourir sur le bord d’un chemin

Sans qu’auprès de lui batte et pleure un cœur humain.

Ils enlacent leurs mains sur le bord du chemin.

Chacun d’eux en luttant contre l’heure suprême

Sent un frère qui veille et qui l’aime quand même

Et moins dure à leur cœur semble l’heure suprême…

(…)

Un an plus tard on vit dans un fossé du bois

Deux squelettes blanchis qui s’étreignaient les doigts.

 

Poèmes pour la paixPaul Eluard- Poésies 1913-1926

                               I

Toutes les femmes heureuses ont

Retrouvé leur mari – il revient du soleil

Tant il apporte de chaleur.

Il rit et dit bonjour tout doucement

Avant d’embrasser sa merveille.

                              II

Splendide, la poitrine cambrée légèrement,

Sainte ma femme, tu es à moi bien mieux qu’au temps

Ou avec lui, et lui, et lui, et lui,

Je tenais un fusil, un bidon – notre vie !

                            III

J’ai eu longtemps un visage inutile,

Mais maintenant

J’ai un visage pour être aimé

J’ai un visage pour être heureux.

  Les poètes de la grande guerre (Edition du Cherche midi) les_po_tes_de_la_grande_guerre

Publicité
Publicité
28 octobre 2009

Impérieux besoin

J'éprouve un impérieux besoin de n'appartenir à personne […]. C'est le moment de se recueillir, de n'obéir qu'à son sentiment individuel, d'échapper à l'ivresse collective et d'exprimer ce qu'on a en soi en s'isolant de toute influence extérieure du moment.

George Sand 

(Lettre à Paul Meurice, 29 mars 1872)

Correspondance Tome XXII (Edition Georges Lubin)  Correspondance_Sand__dition_georges_lubin_25_tomes_

21 octobre 2009

Commune présence

Tu es pressé d'écrire,
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S'il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
Effectivement tu es en retard sur la vie,
La vie inexprimable,
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir,
Celle qui t'est refusée chaque jour par les êtres et par les choses,
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
Au bout de combats sans merci.
Hors d'elle, tout n'est qu'agonie soumise, fin grossière.
Si tu rencontres la mort durant ton labeur,
Reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride,
En t'inclinant.
Si tu veux rire,
Offre ta soumission,
Jamais tes armes.
Tu as été créé pour des moments peu communs.
Modifie-toi, disparais sans regret
Au gré de la rigueur suave.
Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
Sans interruption,
Sans égarement.


Essaime la poussière
Nul ne décèlera votre union.

René Char

Le marteau sans maître (Edition José Corti) ren__char

19 octobre 2009

Il faut être très patient

- On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !

- Que faut-il faire? dit le petit prince.

- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...

Le lendemain revint le petit prince.

- Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l'après-midi, dès trois heures je commencerai d'être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le cœur...

Antoine de Saint Exupéry

Le Petit Prince (Educational Édition) petitprince

14 octobre 2009

Une autre société

.../...Je crois de moins en moins à la politique comme l’entendent aujourd’hui les partis. Vous savez que je rêve d’une autre société, pas davantage. Vous espérez réformer celle-ci avec ses propres éléments. Je crois que le rêve d’une société meilleure est fondé sur des principes très différents de ceux qui régissent la société actuelle.../...

 

 George Sand

 

 (Lettre ouverte aux fondateurs du journal d'opposition L’Eclaireur de l’Indre, 1er septembre 1844)

Correspondance Tome VI (Edition Georges Lubin) Correspondance_Sand__dition_georges_lubin_25_tomes_

Publicité
Publicité
7 octobre 2009

"des bouchons"...comme on disait

Le collège. – Il donnait, comme tous les collèges, comme toutes les prisons, sur une rue obscure, mais qui n’était pas loin du Martouret, le Martouret, notre grande place, où étaient la mairie, le marché aux fruits ; le marché aux fleurs, le rendez-vous de tous les polissons, la gaieté de la ville. Puis le bout de cette rue était bruyant, il y avait des cabarets, « des bouchons », comme on disait, avec un trognon d’arbre, un paquet de branches, pour servir d’enseigne. Il sortait de ces bouchons un bruit de querelles, un goût de vin qui me montait au cerveau, m’irritait les sens et me faisait plus joyeux et plus fort.
Ce goût de vin ! – la bonne odeur des caves ! – j’en ai encore le nez qui bat et la poitrine qui se gonfle.
Les buveurs faisaient tapage ; ils avaient l’air sans souci, bons vivants, avec des rubans à leur fouet et des agréments pleins leur blouse – ils criaient, topaient en jurant, pour des ventes de cochons ou de vaches.
Encore un bouchon qui saute, un rire qui éclate, et les bouteilles trinquent du ventre dans les doigts du cabaretier ! Le soleil jette de l’or dans les verres, il allume un bouton sur cette veste, il cuit un tas de mouches dans ce coin. Le cabaret crie, embaume, empeste, fume et bourdonne.
À deux minutes de là, le collège moisit, sue l’ennui et pue l’encre ; les gens qui entrent, ceux qui sortent éteignent leur regard, leur voix, leur pas, pour ne pas blesser la discipline, troubler le silence, déranger l’étude.

Quelle odeur de vieux !...

Jules Vallès

 L'enfant (Editions Livre de poche)l_enfant_jules_vall_s

28 septembre 2009

Si je savais écrire...

Un beau jour, l’idée me vint que, si je savais écrire, je pourrais dire autre chose que ce que je pensais, et je me mis à essayer de le faire, avec tout ce qui s’était fixé dans ma mémoire, des lettres, des syllabes, des mots [...] Peu à peu, je me mis à me persuader que l’écriture n’avait pas du tout été inventée pour ce que les grandes personnes prétendaient, à quoi parler suffit, mais pour fixer, bien plutôt que des idées pour les autres, des choses pour soi. Des secrets [...] Je jouais aux secrets, voilà ce que personne ne pouvait savoir. Et c’était un jeu qui m’enflammait, d’abord parce qu’il me forçait à avoir des secrets. Puis à leur donner forme, comme si j’avais un correspondant, un ami, qui seul pouvait les comprendre, mes griffouillis [...] C’est pour cet ami-là que je me pris à faire des progrès dans l’art de tracer des signes, que je montrais aux miroirs, où un autre moi-même faisait semblant de les lire [...] Je crois encore qu’on pense à partir de ce qu’on écrit, et pas le contraire [...] Moi, je ne fais des calculs que pour voir surgir sur le papier des chiffres, des nombres inattendus, dont le sens m’échappe, mais après quoi je rêve. J’écris comme cela des romans.

Louis Aragon

Je n'ai jamais appris à écrire ou les incipit (Albert Skira éditeur, coll. « Les sentiers de la création »)aragon.

25 septembre 2009

Partir

Partir.
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-
panthères, je serais un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture
on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer
de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir
de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne
un homme-juif
un homme-pogrom
un chiot
un mendigot

mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la
face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait
dans sa soupière un crâne de Hottentot?

Aimé Césaire

La Poésie (Editions Le Seuil)  aim__c_saire_la_po_sie

10 septembre 2009

Les fenêtres

Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.
Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous: "Es-tu sûr que cette légende soit la vraie?" Qu'importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis?

Charles Baudelaire

 

Le Spleen de Paris (Editions Poésie/Gallimard) le_spleen_de_Paris

18 août 2009

Arthur de 1870 _ Rimbaud de 1873

Le recueil de Douai (Editions Librairie artistique) le_recueil_de_Douai_Rimbaud

Le buffet

C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,                                          
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,                                                                                 
De fichus de grand'mère où sont peints des griffons ;

- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

- Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

Arthur Rimbaud

Une saison en enfer (Editions Flammarion) 2080705067_1_

Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient.

Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. - Et je l'ai trouvée amère. - Et je l'ai injuriée.

Je me suis armé contre la justice.

Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié !

Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce.

J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, avec le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.

Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.

Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.

La charité est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !

"Tu resteras hyène, etc..." se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux."

Ah ! j'en ai trop pris : - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache des quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

  Arthur Rimbaud

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>
Publicité
Lloas a écrit...sur In Libro Veritas

j'aimerais tant
Cliquer sur les images pour ouvrir

et d'autres

Newsletter
16 abonnés
Lloas
Visiteurs
Depuis la création 57 563
Publicité