Gargarisme expiatoire de pensées toutes plus humaines les unes que les autres ! S’enorgueillir de soi en faisant circuler des histoires toutes plus belles les unes que les autres ! Se montrer solidaire en offrant des contes tous plus émouvants les uns que les autres ! Laisser croire que l’on vit ensemble, simplement en glissant sur la vague de l’internet béni de je ne sais quel dieu!
Toute cette conscience aride qui se veut généreuse et qui ne demande qu’un « clic », pour tout effacer : les peines, les malheurs, les angoisses de l’autre ; lui apporter la joie, le bonheur ou l’espoir de se consoler, de se dépasser, de se rassurer avec quelques magnifiques images d’un monde extraordinaire, quelques phrases frappantes empruntées au cœur le plus sensible accompagnées de musiques bouleversantes sorties d’un répertoire on ne peut plus romantique…
Cette offrande incomparable de l’informatique qui jette dans l’espace les plus beaux sentiments humains et qui se pense honnête et compréhensive, juste par ce tout petit geste qui ne demande qu’une seconde de vie, jusqu’à même en retirer une fierté manifestement reconnue…
Une chose obligatoirement vitale et par conséquent essentielle à l’époque des discours, magistralement dépouillés d'actes simples et bienveillants qui prouveraient l'identique mais qui demanderaient de renier le confort égoïste de chacun au profit de l’autre…
Une obscénité de l’humanité, un vague sentiment de droit sans le devoir, un pas de géant vers l’absurdité avec, en bordure de la route, cette complète indifférence pour celui qui reçoit tous ces bons sentiments sur écran et qui sera taxé d’ingratitude s’il n’en est pas satisfait…
Pire, il deviendra injuste s’il ne l’apprécie pas à sa valeur de preuve de compassion, comme si ces envois télématiques étaient la récompense à la faiblesse...
Avec, en prime, comme une discrète mais discourtoise leçon de morale : si tu ne te sors pas de tes peines, de tes malheurs, de tes angoisses c’est parce que tu le refuses et que tu as mal appris ou pas compris ce qu’est l’essence même de la vie, au fil de ces pensées, ces histoires, ces contes qui devraient suffire à te consoler, à te dépasser, à te rassurer ; douce hypocrisie qui renverse les rôles pour satisfaire son désir de partage qu’elle n’arrive plus à réaliser autrement, en oubliant qu’en toile de fond il y a ce constat profond, actuel et définitivement cybernétique mais inavouable : « C’est tout ce que je peux faire… »
6 juin An X